Marathon, la course du messager Entretien avec les commissaires de l'exposition

Jean-Marc Huitorel et Dominique Marchès, commissaires de l’exposition Marathon, la course du messager, détaillent leur parti pris, les objets présentés, la scénographie, l’expérience proposée aux visiteurs…

■ Comment est née cette exposition ?
Cette exposition s’inscrit dans le contexte des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Par association d’idées, les Jeux nous ont renvoyés à la Grèce Antique, et en réfléchissant à la fonction première de La Poste, à savoir délivrer des messages, nous nous sommes souvenus de l’histoire du coureur de Marathon. Ainsi, Philippidès, qui apporta aux Athéniens la nouvelle de la victoire grecque lors de la bataille de Marathon, réalisant en courant la quarantaine de kilomètres séparant les deux cités, sert de point de départ à cette exposition. Une course mythique qui évoque tant la prouesse sportive… que le rôle du facteur.

■ Comment avez-vous constitué le fonds d’œuvres et d’objets, très éclectiques, que vous allez présenter au public ?
L’exposition rassemble environ 160 items : œuvres, objets et documents écrits. S’ils sont tous en lien avec le thème de la course, ils sont effectivement de nature et d’origine très diverses. Le visiteur pourra tour à tour admirer :
des œuvres d’art contemporain d’une vingtaine d’artistes actuels ;
des œuvres d’art moderne du XXe siècle, comme Les Coureurs d’Adrienne Jouclard ;
des œuvres d’art antique notamment un péliké1 de la période hellénique (Ve siècle av J.-C.) montrant des coureurs, ou encore une coupe à lèvres (VIe siècle av J.-C.) ;
de nombreux timbres2 provenant des collections du Musée de La Poste, ainsi que des photos ou d’autres objets comme la torche officielle des Jeux Olympiques d’Albertville 1992, dessinée par Philippe Starck ;
des documents et artefacts mythiques, provenant du Musée National du Sport de Nice, telles que les chaussures d’Alain Mimoun, marathonien et athlète français le plus titré ou le maillot de Boughéra El Ouafi, athlète français qui remporta le marathon lors des Jeux Olympiques d’Amsterdam 1928 ;
des prêts d’autres collections publiques et privées.

1. Contenant de denrée alimentaires semblable à l’amphore mais à la panse plus élargie.
2. Parmi eux, des timbres grecs de 1896 émis à l’occasion des premiers Jeux Olympiques modernes.

■ Si l’on se fie à son intitulé, la course est donc le thème central de votre exposition ?
La course, la marche, le déplacement des humains, car si l’exposition s’inscrit dans un contexte éminemment sportif, son propos autour du thème de la course, s’élargit bien au-delà de ce seul prisme. En effet, quand bien même le coureur n’en aurait pas conscience, à chaque course est systématiquement associée un message et un itinéraire.

■ Cette notion d’itinéraire est fondamentale, n’est-ce pas ?
En effet. Intrinsèquement liée à l’idée même de course, elle est l’occasion de mettre en résonnance tout à la fois des itinéraires d’artistes, comme celui de Jean-Jacques Rullier et sa Promenade en bord de mer, des itinéraires de marathons parcourus par de grands athlètes, ou encore des itinéraires postaux, notamment à travers les tournées du célèbre Facteur Cheval. L’itinéraire est ici le dénominateur commun entre les artistes, les coureurs sportifs et des professionnels à l’instar des facteurs. La trace laissée par ces itinéraires, une fois retranscrite, est l’occasion de s’intéresser au dessin du chemin parcouru, d’un point à un autre, au paysage que, forcément, il traverse. L’itinéraire est d’ailleurs physiquement matérialisé tout le long du parcours de l’exposition par un tracé au sol que les visiteurs sont invités à suivre.

■ Dites-nous en plus sur ce parcours justement…
En parcourant l’exposition, le public sera amené à traverser différents espaces : une zone dédiée au message, une autre à la notion d’itinéraire, d’autres encore aux portraits d’athlètes ou à la littérature. Des étapes qui sont autant de chapitres, d’épisodes de cette histoire que nous racontons.

■ La littérature ?
Oui, on y trouvera notamment une évocation du très beau livre de Jean Echenoz, Courir, publié en 2008, qui relate la vie du champion tchécoslovaque, Emil Zatopek, coureur de fond, marathonien, triple médaille d’or aux Jeux Olympiques d’Helsinki en 1952. L’auteur a accepté de se laisser filmer lisant des passages de son livre. Le film sera projeté dans un espace émaillé d’ouvrages et de citations. Le parcours s’achève dans un espace dédié aux arrivées des plus triomphales aux plus tragiques, à l’instar de Philippidès, qui meurt en délivrant son message. Sans oublier les plus marquantes comme lorsqu’en 1960, l’Éthiopien Abebe Bikila remporte le Marathon des JO de Rome… pieds nus ! Ainsi, après les récompenses remises aux coureurs, l’arrivée marque le terme de la course et, plus prosaïquement, de l’exposition.

■ À vous écouter, on a l’impression d’effectuer soi-même une course en parcourant l’exposition…
L’exposition se vit en effet comme une expérience à part entière qui évoque celle de la course : le visiteur est invité à vivre une « expérience d’œuvres », entrant en résonnance avec des objets porteurs de mémoire. Tous les niveaux de lecture s’entremêlent et se répondent autour du thème de la course, des références antiques aux portraits d’athlètes contemporains. L’idée du corps en mouvement est illustrée par des sculptures de coureurs (Coureur par Germaine Richier, 1955), ou d’autres liées à la marche et aux pieds (La marche par Edouard Fraisse ; Éloge de la déambulation par Philippe Ramette, 2022). Il ne s’agit en aucun cas d’une exposition relatant un fait historique, mais bien d’une évocation nous immergeant dans une expérience, celle de la course au sens large, qui ne se résume pas à se rendre d’un point A à un point B. Ainsi, certains seront séduits, ou interpelés, par sa dimension artistique, historique ou sportive. L’exposition ne se veut pas démonstrative et, de ce fait, n’impose aucune grille de lecture.

■ Une exposition qui interroge donc…
Oui, elle a vocation à interroger au-delà de son propos initial. Ainsi, lorsque l’on parle d’Alain Mimoun ou de Boughéra El Ouafi, ces deux athlètes français nés en Algérie qui ont décroché des médailles d’or aux Jeux Olympiques, cela nous interroge sur l’histoire même de notre pays, notre rapport à la nationalité, celle avec laquelle nous sommes nés, celle dans laquelle nous nous reconnaissons, ou pas